Investissements durables dans les pays émergents
Quels pays émergents entrent en considération comme destination d'investissement durable?
6 juin 2016
- Les investissements durables font de plus en plus-parler d’eux. Mais que cela signifie-t’il concrètement ? Quels sont les critères pris en compte et comment évoluent-ils avec le temps? Le dernier classement de durabilité de Degroof Petercam consacré aux pays émergents fait ressortir les principales évolutions.
- Principaux constats : malgré son récent retour sur les marchés des capitaux, l’Argentine recule très nettement. Le Mexique perd lui de son attrait en matière d’investissements durables en raison de problématiques de corruption et de violence. Le Botswana et le Ghana voient par contre leurs efforts récompensés et se hissent dans le premier percentile, renforçant sensiblement leur label d’investissement durable. Enfin, malgré les récents troubles, la Turquie et le Brésil se maintiennent dans le top 15.
“Les investissements durables sont bien plus qu’un état d’esprit. À partir d’une méthodologie objective, Degroof Petercam établit un classement des pays émergents sur base de critères clairs. Plus la note d’un pays est élevée, plus son attractivité est forte et plus il a de chances d’être repris dans les fonds de placement durables. Ou comment lier la stratégie d’investissement aux efforts de politique durable d’un État-nation”, déclare Ophélie Mortier, responsable de la stratégie d’investissements durables chez Degroof Petercam.
Classement: progressions, reculs et évolution de la note de durabilité du Mexique et de l’Argentine
L’évolution de certains pays ces trois dernières années est intéressante dans la perspective d’un possible investissement.
Prenons l’exemple du Mexique, qui représente un poids important dans les indices de dette émergente, ou de l’Argentine, revenue récemment sur les marchés internationaux des capitaux avec un succès étonnant.
“Si l’univers et la méthodologie ont évolué ces trois dernières années, le Mexique recule lui d’année en année au classement. Les défis du Mexique sont connus et c’est au niveau de la transparence et des valeurs démocratiques que se situent les principaux chantiers du pays. La corruption représente un véritable fléau et la note du Mexique à ce niveau ne cesse de dégringoler”, déclare Ophélie Mortier.
La violence et le crime organisé pèsent lourdement sur l’environnement pacifique, reléguant le pays en queue de peloton. Cette violence a aussi un prix. Selon l’ONG Vision of Humanity, la violence en 2015 a ainsi coûté plus de 2,12 trillions de pesos mexicains, soit 13% du PIB.
Cette corruption et cette violence se font également sentir au niveau de la liberté de la presse pour laquelle le pays arrive en 76e position. La qualité des institutions publiques, déterminante selon les recherches académiques pour évaluer la capacité de remboursement d’un pays, est également très faible (75e place). Ce résultat médiocre en matière de transparence fait écho à un faible score au niveau de la population et de son bien-être, avec de très grandes inégalités et un taux de fertilité inférieur à la moyenne de l’univers. Malheureusement, les investissements dans l’éducation ne garantissent pas la relève par les générations futures. Les dépenses dans l’enseignement primaire et l’engagement dans ce dernier restent également inférieurs à la moyenne de l’univers.
L’Argentine, qui reste historiquement un « exemple » en matière de défaut de paiement pour les détenteurs d’obligations souveraines, a fait récemment son retour sur les marchés internationaux de la dette avec des obligations à 3, 5, 10 et 30 ans. L’émission, qui a coïncidé avec un relèvement de la note de solvabilité par les trois principales agences de notation, a connu un succès sans précédent avec la levée de 15 milliards de dollars.
“Le Sénat argentin a bouclé fin mars l’exécution d’un accord conclu en février entre le gouvernement et les détenteurs de dette argentine, victimes du tristement célèbre défaut de paiement de 2001 et qui avaient refusé une décote de 70% lors des négociations en 2005 et 2010. La clôture de ce dossier était indispensable pour permettre à l’Argentine d’accéder à nouveau aux marchés internationaux des capitaux après en avoir été écartée pendant 15 ans”, explique Ophélie Mortier.
Les différentes étapes ont été accueillies favorablement par les investisseurs et les agences de notation puisqu’elles laissent espérer une meilleure solvabilité et liquidité du pays. Malgré cela, l’analyse de durabilité et l’évolution de celle-ci ces trois dernières années ne donnent pas la confiance nécessaire pour investir à nouveau dans la dette argentine. La durabilité du pays n’évolue en effet pas dans le bon sens.
Le manque de compétitivité de l’économie souffre ainsi fortement du manque de transparence et des problématiques observées au niveau des valeurs démocratiques. L’importante crise institutionnelle est ainsi notamment le résultat d’une gouvernance défaillante, d’une corruption omniprésente et de questions éthiques problématiques, avec à la clé une politique économique répressive. Le pays recule par ailleurs au classement en ce qui concerne la corruption, mais aussi au niveau des droits politiques et des libertés civiles. Les inégalités au sein de la population sont du reste importantes et les soins de santé ainsi que le taux de fertilité se situent en dessous de la moyenne de l’univers. Enfin, l’espérance de vie recule, reléguant le pays loin derrière son voisin chilien par exemple.
Méthodologie sur mesure des pays émergents
Degroof Petercam publie depuis 2008 déjà un classement semestriel de durabilité pour les 34 États membres de l’OCDE. En 2013, la société décide d’élargir son expertise aux pays émergents et de passer au crible le profil durable de 84 d’entre eux.
Afin d’intégrer les particularités des économies émergentes, la méthodologie a été adaptée aux problématiques de l’univers étudié. Le modèle repose sur les cinq grands piliers de durabilité, tels que:
- transparence et valeurs démocratiques
- population, soins de santé, distribution des richesses
- environnement
- éducation/innovation
- économie
Les paramètres ont été adaptés spécifiquement aux défis auxquels les pays émergents sont confrontés. Nous pensons ici à l’accès à l’eau potable, à l’enseignement primaire et au respect des droits politiques et des libertés civiles. La méthodologie est par ailleurs revue tous les six mois par un groupe de pilotage, intégrant des experts externes, afin d’améliorer constamment le modèle.
L’évolution pour principal critère
La dernière amélioration en date de la méthodologie porte sur la pondération de l’indicateur de tendance dans l’évaluation des performances de durabilité des pays. L’objectif de cet indicateur est de vérifier l’évolution d’un pays et ses progrès dans les différents domaines de durabilité sur les trois dernières années. Dans le dernier classement, le poids de cet indicateur de tendance est passé de 25% à l’origine à 50% aujourd’hui, ce qui signifie que les progrès enregistrés par un pays sont désormais aussi importants que sa position absolue.
“En accordant récemment plus de poids à l’évolution d’un pays, nous encourageons aussi les pays ayant fourni récemment de grands efforts de figurer parmi les destinations d’investissement durable” explique Ophélie Mortier.
Placements durables : le rendement est au rendez-vous
Les fonds de placement durables apportent une valeur ajoutée, tant pour leur caractère durable que pour leurs performances financières.
En se concentrant avant tout et surtout sur les aspects transparence et valeurs démocratiques, la méthodologie permet une première estimation du contexte politique du pays et de sa stabilité.
L’analyse porte ainsi notamment sur la qualité des institutions publiques, leur transparence ou au contraire manque de transparence (degré de corruption et liberté de la presse), et le respect des droits fondamentaux de la population (droits politiques et libertés civiles). L’analyse de la population
et de son bien-être permet également d’identifier les faiblesses et le niveau d’insatisfaction de la population, lesquels peuvent être une source d’instabilité et donc être néfastes pour les investissements.
Dans le cadre d’un investissement en dette souveraine, performances et diminution des risques sont très importantes. La contribution du filtre de durabilité est d’autant plus importante que les marchés sont volatils et pessimistes, et cela montre l’utilité d’un tel outil pour une meilleure compréhension des risques.
COP21 : quel impact sur la méthodologie ?
L’approche s’est toujours concentrée sur les faits et les progrès visibles plutôt que sur les engagements du monde politique. Voilà pourquoi le modèle comprend très peu d’indicateurs sur les traités ou protocoles.
Le sommet de l’ONU organisé à Paris en décembre 2015 a été très important pour la reconnaissance du risque carbone comme risque économique et au niveau de l’engagement mondial pour la transition vers une économie bas carbone. Mais si les pays se sont aujourd’hui engagés, encore faut-il qu’ils passent aux actes et il s’agira donc de voir ces prochaines années ce qui a réellement été réalisé par rapport aux différentes annonces, histoire de voir le véritable engagement d’un pays à prendre la problématique carbone au sérieux. Avec d’autres indicateurs, comme l’évolution des émissions carbone en fonction de l’activité économique ou la vulnérabilité et l’anticipation par rapport aux changements climatiques, les mesures concrètes ont aujourd’hui plus de retentissement que la ratification d’un accord, aussi important soit-il.